En hommage au chef Paul Bocuse, monument de la gastronomie française décédé samedi 20 janvier 2018, La RVF publie les confessions bachiques que le grand chef lyonnais nous avait soufflées en novembre 2010.
La Revue du vin de France : Le vin de votre enfance ?
Paul Bocuse : Avant-guerre, dans les années 30-40, on ne buvait que le gamay des Monts du Lyonnais, on le servait en pot de 46 centilitres, c’était le vin plaisir qui avait une vertu, il désaltérait. Mon père, Georges Bocuse, avait un ami vigneron qui produisait du morgon du Py, il disait : « Ah, cette année, il morgonne ! » Un signe de qualité. À l’Auberge, il y avait alors neuf tables et neuf chambres louées l’après-midi. On mitonnait des fritures, du saucisson chaud, des lyonnaiseries. Nous y faisions aussi la mise en bouteilles, on encavait le vin acheté en pièces de 216 litres. C’était ma partie. J’avais acquis un bon tour de main pour descendre les tonneaux. On les vidait, on les nettoyait, c’était presque un travail de professionnel. Hélas ! il y avait des aléas, les vins étaient inégaux en qualité, quelquefois cela frisait la correctionnelle. Et puis après la guerre est arrivé Georges Dubœuf, un maître de la vinification en Beaujolais. Avec lui, tout a changé… en bien.
La Revue du vin de France : Georges Dubœuf va devenir votre ami intime ?
Paul Bocuse : Comme un frère. Je l’ai propulsé dans le monde et d’abord aux États-Unis où il avait un contrat exclusif avec Alexis Lichine, propriétaire du château Lascombes, puis du Prieuré à Margaux. Dans le but de distribuer ses beaujolais à l’export, j’ai créé une société de négoce, Les Vins Paul Bocuse. J’allais plusieurs fois par an aux États-Unis pour faire la promotion de ses vins avec le concours de Melvin Master, un gentleman élégant comme Brummell, lequel organisait des dîners Bocuse-Dubœuf. Un jour, à Denver dans le Colorado, pour un dîner de presse de huit couverts, j’avais fait le marché avec monsieur Jordan, notre hôte, un pétrolier bien fourni en dollars, et j’avais prévu un hamburger de foie gras et lamelles de truffes que j’avais glissées dans mes bagages. Pour le vin, le maître de maison m’avait laissé libre choix dans sa cave où s’empilaient des grands vins français. J’ai prélevé un magnum de Pétrus. Si je concocte une sauce au vin rouge, le Pétrus sera idéal, ai-je dit à monsieur Jordan qui m’a approuvé. Comme on offrait rituellement un œuf poché à la beaujolaise, j’ai utilisé le Pétrus pour la sauce, les journalistes américains n’en sont pas revenus. Ils étaient médusés : Pétrus était pour eux une sorte de diamant liquide, jamais utilisé dans une poêle ! Je peux vous dire que les retombées de presse ont été conséquentes, Newsweek, Time, les télévisions, les revues spécialisées dans la table et le vin, nous avons été les pionniers dans la communication à la française, dès les années 70-80.
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